DESCRIPTION DU PROJET
GROSAME de Grand-Goâve est un organisme associatif qui offre des services en santé mentale. Formés et supervisés par des professionnels d’Haïti et du Québec-Canada, des Agents de Changement de Milieu réalisent des activités de promotion, de prévention et de réadaptation auprès de la population de la ville de Grand-Goâve afin d’instaurer des conditions de vie psychosociales susceptibles de maintenir la santé mentale des citoyens.
Historique
Huit citoyens de Grand-Goâve se réunissent en 2005 et décident de constituer un groupe informel pour améliorer l’environnement de leur localité. Pendant qu’ils poursuivent leurs discussions, survient une rencontre inattendue. Les huit aidants naturels font la connaissance du docteur Frantz Raphaël, co-fondateur de la clinique de psychiatrie transculturelle de l’hôpital Jean-Talon. Ce dernier avait demandé à son frère, résidant de Grand-Goâve, de réunir des leaders de la communauté pour leur parler de santé mentale. Aussitôt dit, aussitôt fait. Et le groupe se présente à la réunion à l’heure prévue. Les participants écoutent attentivement ce que le docteur Raphaël raconte, et découvrent un concept.. On leur parle de quelque chose d’inconnu pour eux : de santé mentale et non de maladie. On leur parle de qualité de vie possible malgré les conditions de vie très difficiles. On leur parle de l’espoir d’une vie meilleure. À la fin de la réunion, ils créent le groupe GROSAME (groupe de santé mentale) et décident de se prénommer Agent de Changement de Milieu (ACM).. Débute alors une aventure que nous vous présentons aujourd’hui. En résumé, d’une rencontre naît un projet d’action en santé mentale d’où notre devise : « se rencontrer pour s’entraider ».
Après la rencontre avec le docteur Raphaël, le groupe initial de huit membres s’agrandit et compte à un moment donné onze aidants naturels. Le groupe se réunit à une vingtaine de reprises en l’espace d’un an, et s’interroge sur les relations entre les conditions de vie en Haïti et les problèmes observés. Il est aussi question des manières d’améliorer celles-ci et de répondre aux citoyens qui vivent des problèmes de santé mentale. Le groupe organise 10 rencontres avec divers groupes sociaux, réalisent une émission de radio et une émission télédiffusée afin de sensibiliser la population à la santé mentale.
Durant les années subséquentes, le groupe reçoit une formation aux compétences parentales. Il continue son action mais à un rythme moins intense, victime d’un certain essoufflement, et du désistement de certains ACM. Néanmoins un noyau de 4-5 aidants naturels persiste et continue ses actions.
Jusqu’à cette rencontre, les ACM avaient la représentation que santé mentale équivaut à maladie mentale, objet d’une grande stigmatisation. Comme disait un ACM, la santé mentale est la folie (moun fou), et on ne peut rien faire. Dans ce contexte, la rencontre avec le docteur Raphaël fut déterminante. Il leur a parlé d’un concept « ignoré » : « Quand on parle de santé mentale, on pense à fou. Mais avec vous, on a vu qu’il y a des problèmes psychologiques quand on parle de santé mentale » a dit un ACM. Les ACM ont compris que l’on ne parlait pas de psychiatrie ni de moun fou quand on parlait de santé mentale. Ils ont compris qu’on parlait des problèmes quotidiens et des sentiments négatifs quotidiens vécus par les haïtiens. Si les enfants vont à l’école sans qu’ils n’aient été nourris, comment va se sentir le père? est l’un des exemples souvent mentionnés pour décrire le stress quotidien vécu par bon nombre d’haïtiens.
Les ACM ont découvert que le mot santé mentale recouvrait la réalité quotidienne des haïtiens sous ses aspects économiques, psychologiques, familiaux, etc. Ils ont découvert que le mot recouvrait la notion de bien-être psychologique, personnel, familial et que ce bien-être est lié aux conditions de vie. Sans le dire, ils ont fait un rapprochement avec le concept de qualité de vie et ses déterminants.
Ils ont aussi découvert que la santé mentale était un domaine sur lequel ils pouvaient exercer une influence. Il était possible de changer les choses, de maîtriser la situation, ce qui contraste avec leur quotidien.
Les haïtiens vivent en effet dans un contexte démoralisant à beaucoup d’égards, et dont il ne semble pas possible d’échapper. Ils sont pris dans le piège de la pauvreté et de sa répétition de génération en génération. Ils vivent dans un contexte dans lequel des obstacles continuels s’élèvent entre eux et leurs attentes, ou contrecarrent ce qui peut les aider. Ils vivent dans un contexte qui peut créer un sentiment d’impuissance. En leur parlant de santé mentale, le docteur Raphaël leur a montré qu’il était possible de mettre fin à cette impuissance. Il était possible de changer la vie des citoyens. Il leur a donné de l’espoir.
Le fonctionnement du groupe
Lorsqu’on examine le fonctionnement du groupe, on se rend compte de l’importance de la solidarité du groupe. Il y a quelques mois, la santé du leader du groupe, présent depuis la rencontre initiale de 2006, et hautement respecté par tous pour son implication sans faille, ses compétences et ses grandes qualités humaines, a commencé à décliner jusqu’au point de ne pouvoir assumer ses responsabilités. Que faire? Le remplacer? Les aidants naturels ont décidé d’assumer bénévolement ses responsabilités afin qu’il puisse continuer de recevoir son salaire et d’assumer ses responsabilités familiales. Ils ont été sensibles à la misère que tous vivent à un moment donné.
Mais au-delà de cette solidarité collective, il semble que le groupe reproduit le fonctionnement et les valeurs retrouvés dans le modèle matriarcal haïtien. GROSAME est un OSBL qui fonctionne comme un groupe autogéré, égalitaire (par exemple, les ACM ont décidé que la rémunération horaire serait la même pour tous. Mais sans que cela ne veuille dire une rémunération hebdomadaire identique. Pour tenir compte de l’implication antérieure et des responsabilités, un nombre d’heures différent fut attribué à chacun).
Mais GROSAME constitue aussi symboliquement une famille, ce qui peut fournir une autre piste d’explication à la redistribution des heures. Comme le leader naturel, en congé de maladie, en est le poto mitan ie. le pilier central, comme l’est la mère, tous les enfants resserrent les liens face au danger de sa perte, et de l’angoisse de l’effondrement familial associée.
Les valeurs
Quelles sont les valeurs du groupe? L’ouverture au changement chez soi et chez autrui. Les ACM reconnaissent que la formation reçue pour le module « les compétences parentales » a modifié leur conception de l’éducation des enfants, et a entraîné l’abandon du châtiment corporel comme méthode éducative. Une autre valeur est le souci de transmettre ce qui a été appris. Comme dit l’un deux, « c’est notre devoir de redonner aux autres ce que nous avons appris ». Il y a également l’entraide dans les divers aspects de la vie quotidienne comme l’exemple suivant : offrir à ses voisins de l’eau potable. Enfin, les ACM prônent la résilience qui permet de persister et de se renouveler malgré de nombreux obstacles.
Discours sur la santé mentale
Quel discours entend-on de la part des ACM sur la santé mentale? Le discours est social. Les ACM mentionnent que le principal facteur explicatif des difficultés de santé mentale vécues par les haïtiens est la pauvreté. Le PIB haïtien se situe à 480$US par personne (au Canada, il s’élève à 51 958$). Il y a un fort taux de chômage dans la population de Grand Goâve comme dans l’ensemble du pays. Les ACM relient cette situation précaire de l’emploi au niveau de stress élevé de la population surtout rurale. Par exemple, on entend dire que les agriculteurs, la majorité des travailleurs (80%), vivent dans des conditions extrêmement précaires. Ils n’ont pas les moyens de cultiver la terre, et ils en sont mentalement affectés. Ils sont à la merci de la sécheresse, des inondations, du faible rendement des sols, de l’utilisation de méthodes agraires peu productives, et de la compétition étrangère qui rend le prix de leurs produits non attrayants. Les agriculteurs, entend-on, sont tellement pauvres qu’ils sont continuellement préoccupés par les soucis de ne pouvoir nourrir leurs enfants, de ne pouvoir payer leurs effets scolaires, etc. Selon les ACM, ce stress engendre la violence. Les agriculteurs finissent par se défouler violemment sur leurs enfants à cause de leurs frustrations. Ce comportement n’est pas spécifique à eux. Certains participants ont mentionné que la violence physique et verbale des professeurs pouvait s’expliquer par les soucis engendrés par leur faible salaire de professeur. Les élèves sont victimes du déplacement des frustrations des professeurs.
Les interventions
Comme dit un des membres de GROSAME, « il faut s’attaquer à tous les problèmes de la vie quotidienne pour pouvoir résoudre les problèmes de santé mentale ». Il en ressort que GROSAME se définit naturellement comme un groupe de promotion, de prévention et de référence en santé mentale. C’est un groupe d’aidants naturels intéressés à améliorer la qualité de vie et le niveau de santé mentale des citoyens de Grand Goâve. C’est aussi un groupe de réflexion qui tente de mieux comprendre les troubles de comportement et divers problèmes énumérés dans une perspective psychosociale.